Homme d’action, le Doyen Carbonnier était aussi homme de plume. Il joue des mots, se joue des mots :
élection pour élection, je fus élu Doyen, et je le suis encore honorairement par la grâce de l’ancienneté
(« Reflets d’arcades sur fond de droit : souvenirs d’un devenir à la Faculté de Poitiers », Ecrits, PuF, 2008, p. 30).
Il aime à glisser parfois quelques traits de douce malice :
un penchant incoercible à la poésie me conduit à regarder dans le Code pénal
(« Reflets d’arcades sur fond de droit : souvenirs d’un devenir à la Faculté de Poitiers », Ecrits, PuF, 2008, p. 27)
on ne s’interroge pas sur l’utilité
du droit lui-même. Puisqu’il a l’air d’avoir
toujours existé, on présume qu’il rend des services
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 227)
il y a une rue de la Loi au cœur de Bruxelles et une impasse de la Loi dans un faubourg de Paris. On ne l’a pas fait exprès
(Essais sur les Lois, Defrénois, 1995, p. 7)
Cependant, il ne répugne pas à l’image toute de force :
un seau d’eau froide me fut jeté par le Doyen Ripert
(« Reflets d’arcades sur fond de droit : souvenirs d’un devenir à la Faculté de Poitiers », Ecrits, PuF, 2008, p. 24)
[bien que d’aucuns] l’aient peut-être transformé en buisson à controverses
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 151)
Il est faux que le cours ex cathedra soit sans dialogue, sans communication. Des fibres d’or relient à celui qui parle ceux qui écoutent ou même simplement regardent
(« Reflets d’arcades sur fond de droit : souvenirs d’un devenir à la Faculté de Poitiers », Ecrits, PuF, 2008, p. 29)
Le mot pris isolément, ce grand lettré sait ainsi en goûter la saveur mais il en apprécie plus encore la relation dynamique avec son antonyme : « droit et non-droit », « grand droit et petit droit », « codicille du juste et l’injuste » (qui n’est pas sans rappeler la bénédiction des justes et des injustes de Matthieu V, 45), quand ce n’est pas avec les rythmes et les sons qu’il joue :
les choses, c’est méchant aussi, ça mord, explose, brûle, tue »
(Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 366)
traverser le désert dans un désert de lois
(Coligny ou les sermons imaginaires, PuF, 1982, p.104)
« sillons et sillages », « notes et nœuds »
(Sociologie juridique, PuF, 2004).
Cette dualité qu’il apprécie laisse aussi une place à la trinité, naturelle chez ce grand lecteur des Testaments :
l’avenir d’un passé ne vaut qu’en regard
de ses acolytes, « le passé au présent »
et « le passé au futur »
(Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 224)
il reprend à son compte la tradition des « trois piliers du droit » qui étaient peut-être, à son sens, ultime facétie, quatre (« et la monnaie ? ») (Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 391)
les degrés du droit ne peuvent s’analyser qu’au regard « de peu, de tout et de rien
(Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 84)
Ceux qui l’ont bien connu ont trouvé la juste formule pour désigner son art :
"une langue enchanteresse" (Jean Foyer, Philippe Malaurie, Gérard Cornu, Pierre Catala, François Terré, Hommage à Jean Carbonnier, JCP n°1-2, 7 janvier 2004).
Ce juriste prolifique ne nous a guère laissé de traces écrites de la part laissée peut-être à la poésie, au rêve, à la fiction - si ce n’est à travers une nouvelle inédite, « Faux départ sans lendemain », qui s’apparente à une critique politique sous les dehors d’une utopie à la Jules Verne :
La monstrueuse hélice de trois millions cent vingt deux mille six cents mètres de diamètre était enfin mise en place, son axe planté dans le pôle Nord.
Comme toujours, l’éternel parti de la conservation
avait été odieux, puis stupide.
Son excellente connaissance de langues étrangères lui permet également de se faire traducteur. Ainsi de sa version en français du drame romantique allemand en vers d’Isaak von Sinclair, La fin de la Guerre des Cévennes où il précise, dans une introduction de sa main :
Mais la poésie a des licences que ne saurait se permettre la théologie ; et le protestantisme ne serait pas tout à fait lui-même s’il chicanait à ses poètes leur liberté de rêver.
(Presses du Languedoc, 1993) *
Jean Carbonnier, homme de droit, homme de plume, est aussi
un grand lecteur. Ses écrits sont parsemés d’allusions
littéraires, des écrivains grecs (Hérodote)
ou latins (Suétone) jusqu’à Marcel Proust, André
Gide ou le poète René Char, en passant par l’anglais
Shakespeare, les auteurs classiques du Grand Siècle (Corneille,
Racine, Molière, Pascal ou même Perrault) et les philosophes
des Lumières (le Montesquieu de L’Esprit des Lois bien
sûr, mais aussi Diderot, Voltaire ou Rousseau). Il ne néglige
pas les auteurs du XIXe siècle : Honoré de Balzac,
Emile Zola, mais surtout Victor Hugo, auquel il consacre en 1926
son premier écrit (publié dans la Revue générale
de droit et de législation en France et à l’étranger,
1928 (4) et 1929 (1), repris dans Flexible Droit, L.G.D.J., 2001), avant même
la soutenance de sa thèse de doctorat.
Claude aurait pu se dispenser de juger lui-même,
encore qu’il fût empereur romain. Mais c’était
le juge fait homme que l’empereur Claude, et Suétone
a décrit en lui cette passion du tribunal, qui était
à la vérité une folie judiciaire ;
il jugeait tantôt bien, tantôt mal, comme tous
les juges, avec peut-être, dans son goût pour
l’équité par-dessus les règles,
une pointe d’originalité, où l’on
sent percer l’extravagance. Mais, avant tout, il lui
fallait juger. Ce qui atteste clairement qu’il avait
cette folie, c’est qu’il soupçonnait les
autres de l’avoir, et Suétone raconte que certain
jour, comme un citoyen, qui aurait eu le droit de ne pas siéger
dans un jury eu égard au nombre de ses enfants, n’avait
pas fait valoir cette excuse, il le renvoya tout de même,
sous prétexte qu’il était atteint de la
manie de juger.
("Caractères juridiques", in Flexible
Droit, L.G.D.J., 2001, p. 426)
Avec le Marchand de Venise, Shakespeare présente une tout autre espèce débitoriale. C’est un débiteur d’argent, un débiteur moderne déjà : le droit archaïque a cédé la place au droit mercantile. La psychologie du Marchand a été un peu éclipsée par celle de son créancier. Antonio, cependant, n’est pas seulement un homme, c’est un débiteur, et pas un débiteur quelconque. Nous ne devons pas nous étonner de la facilité avec laquelle il contracte son extraordinaire engagement d’une livre de chair ; il est négociant, armateur, habitué à assumer chaque jour les risques les plus graves. Mais nous pouvons admirer la hautaine indifférence avec laquelle, sa ruine advenue, une fois qu’il a compris l’inflexibilité de son adversaire, il marche à l’exécution. La clé du personnage paraît tenir en quelques vers de la scène du jugement (IV, 1), où il se félicite d’échapper par la mort au destin ordinaire des débiteurs ruinés, qui, après avoir perdu leur fortune, doivent encore traîner une vie d’exclusion.
(Caractères juridiques, in Flexible Droit, L.G.D.J., 2001, p. 419)
Pierre Corneille, Le Cid
Mais c’est Corneille qui, d’un seul vers, génial en sa simplicité, va éclairer à nos yeux, trois siècles plus tard, l’essentiel, qui est le profond ennui d’avoir à juger : « Sire, Chimène vient vous demander justice. – La fâcheuse nouvelle et l’importun devoir ! ». Ce que confirme, par exemple, telle enquête menée en Pologne auprès d’ouvriers d’usine : « Aimeriez-vous être élu juge d’un tribunal ouvrier ? » Sur 122 enquêtés : 20 oui, 6 sans opinion, et 96 non.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 181)
A la vérité, plus que dans le décor féodal, c’est dans le fond de l’intrigue que les contemporains ont aperçu un mouvement subversif ; c’est l’apologie de Chimène qui les a le plus vivement secoués. Chimène a été jugée par l’Académie, en ses observations, « scandaleuse, sinon dépravée ». Le centre de gravité, dès lors, se déplace, passe du crime de Rodrigue au crime de Chimène. Quel est donc celui-ci ? C’est d’épouser, ou plutôt – puisque, lorsque le rideau tombe, ce n’est encore que pressenti – d’admettre, au moins tacitement, l’idée d’épouser un jour le meurtrier de son père. (…) C’est qu’en épousant le meurtrier de son père, Chimène manque à un devoir de solidarité familiale encore très vivace dans la conscience juridique de 1636. Le Code Napoléon lui-même (art. 727, 3°) n’exclut-il pas de la succession comme indignes les héritiers qui n’auront pas dénoncé le meurtre de leurs parents ? (…) On éprouve quelque scrupule à promener ainsi le grossier scalpel du droit sur une pièce toute palpitante, mais il nous semble que, si elle a été blâmée comme dommageable à l’ordre établi, c’est pour cause juridique : elle marquait une désagrégation de la famille, la substitution de la famille de cœur à la famille de sang.
("Caractères juridiques", in Flexible Droit, L.G.D.J., 2001, p. 421-422)
Est-ce que ce sont les lois folles, et les juges fous, qui rendent fous les justiciables ? Ce n’est pas sûr, si l’on considère les Plaideurs de Racine, qui ont trouvé en eux-mêmes les sources de leur propre déraison. On ne peut rêver plus belle collection de psychopathes juridiques. Que de fous ! comme s’écrie un des personnages qui est resté sensé parce qu’il n’a pas de procès sur les bras. Il est curieux que le procès, ce moyen de réaliser le droit, de faire descendre la justice sur la terre, soit apparu de tout temps comme un phénomène morbide, comme une folie de l’homme.
("Caractères juridiques", in Flexible Droit,L.G.D.J., 2001, p. 430)
En jalonnant de mariages cette carrière libertine,
Molière a transformé son dom Juan : ce
n’est plus le voluptueux, c’est le bigame. Dans
la galerie des grands criminels, le bigame a toujours fait
figure assez falote. Du temps de Molière, déjà,
on riait des bigames, on ne les tuait plus. Au maximum, c’était
assez de les envoyer aux galères, après les
avoir tenus au carcan pendant trois jours, avec des quenouilles
entre les bras, autant de quenouilles que de femmes vivantes.
La bigamie mélange au crime une sorte d’esprit
bourgeois, de goût pour le confort et les pantoufles,
qui est une médiocre pâte dramatique. Un débauché,
courant frénétiquement à son plaisir,
sans s’embarrasser de solennités préalables,
eût été plus convaincant. Pourquoi Molière
a-t-il voulu ce détail qui change tout le caractère
et qui n’était chez aucun de ses prédécesseurs ?
("Caractères juridiques", in Flexible Droit, L.G.D.J., 2001, p.
423-424)
Blaise Pascal, Pensées
Le chancelier est grave », cette observation
de Pascal (Pensées, éd. Brunschvicg, n°307)
frappe par un air de mystère que la suite du texte
(comme il advient souvent dans les Pensées) épaissirait
plutôt. Le chancelier de France, la tête du
corps judiciaire, le ministre qui récapitule en lui
toutes les lois du royaume, s’il est grave, c’est
que sur son humanité se reflète la gravité
du droit. Derrière cet homme symbolique, il est temps
de faire entrer en scène bien d’autres hommes
et d’autres lois.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 387)
Charles Perrault, Contes
En marge du christianisme, une mythologie très ancienne a longtemps survécu, celle des contes de fées – tels que Perrault les a recueillis – dont la diffusion a été très vaste, et l’action d’autant plus puissante qu’elle saisissait les esprits plus jeunes. A Cendrillon on a rattaché la protection législative de l’enfant du premier lit, et au Petit Poucet – le dernier né, et le plus malin de la famille – le droit du juvénieur, droit préférentiel reconnu par beaucoup de coutumes rurales au cadet des garçons dans la dévolution de l’exploitation agricole. Ces personnages de la légende se seraient transformés en modèles du droit.
("La genèse de l’obligatoire dans l’apparition de la coutume", in Flexible Droit, L.G.D.J.,2001, p. 122-123)
Notre époque a multiplié les lecteurs autour de Montesquieu – et les lectures, les relectures, de ces relectures qui créent le mystère à force de l’élucider. Précurseur des comparatistes, devancier des sociologues ; évolutionniste avant la lettre, mais un peu structuraliste aussi ; homme de gauche, homme de droite ; très anglomane ou tout-français ; une retenue de puritain, peut-être un soupçon d’érotisme – la magie de la relecture fait surgir des textes maintes images d’un possible Montesquieu »
(Parenthèse sur Montesquieu, in Essais sur les lois, Defrénois, 1995, p.261)
Pourtant, si l’on s’attache à l’essentiel, L’Esprit des lois c’est déjà la sociologie juridique conçue comme science. L’essentiel, il faut le chercher dans deux traits : le relativisme et le déterminisme.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p.70)
Diderot tranche sur les autres philosophes par un évolutionnisme radical qui, aux yeux de beaucoup, suffit à en faire un sociologue (« tout est dans un flux perpétuel », a-t-il écrit). Par sa « comédie larmoyante » du Fils naturel, il aida à réhabiliter les bâtards que le droit civil de son temps excluait de la famille – sociologie législative en action. Mais sa contribution la plus efficace à la sociologie du droit doit être cherchée, sans doute, dans l’Encyclopédie. Le succès de cette grande œuvre dans la classe intellectuelle fut aussi le succès des articles de droit, de critique du droit, qui y étaient insérés (lui-même avait rédigé les articles Autorité politique et Droit naturel).
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 72)
Qu’on puisse tirer de l’œuvre
de Jean-Jacques Rousseau une sociologie politique ne fait
pas de doute, mais une sociologie du droit ? Il n’ignorait
point le droit, qu’il avait étudié à
l’école du droit naturel, notamment chez Burlamaqui ;
et portant sur les institutions un regard qui se voulait primitif,
il était à même de les saisir dans leur
réalité, en dehors de leurs revêtements
dogmatiques, ce qui était déjà un pas
vers la sociologie. En fait son anticonformisme, son anti-urbanisme
(une écologie d’herborisant), ses ambiguïtés
aussi (car il fut ondoyant), pourraient faire de lui un sociologue
ultra-moderne du droit. (…) Une sociologie que, de-ci,
de-là, il mit en action : il s’essaya à
légiférer pour la Pologne et la Corse, et il
donna un (mauvais) exemple d’union libre.
(Sociologie
juridique, PuF, 2004, p. 73)
Que des précautions soient nécessaires, il
va de soi : le littérateur peut, même
s’il a quelque teinture de droit, s’être
mépris sur certains mécanismes juridiques :
son erreur de droit procurera l’illusion d’un
phénomène juridique bien curieux. Et puis,
il faut tenir compte du grossissement dramatique, exigence
professionnelle même pour l’auteur qui se veut
réaliste. Peut-être sommes-nous victimes d’un
tel grossissement lorsque nous croyons observer, par exemple,
la puissance paternelle sous l’Ancien Régime
dans ce que nous raconte Restif de la Bretonne (La vie de
mon père) – sans préjudice de la déformation
affective que peuvent subir les souvenirs d’enfance
en toute bonne foi.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 180)
Honoré de Balzac / Emile Zola
Le second type d’écrivain est celui que l’on
pourrait nommer le théoricien, celui qui entend faire
acte de sociologie dans son œuvre, sinon de sociologie
du droit. Balzac a révélé ce projet
sociologique dans sa préface-postface de La Comédie
humaine ; et Zola, sur la même lancée,
mais Claude Bernard étant passé par là,
concevait Les Rougon-Macquart comme un roman expérimental.
Ces vues systématiques leur ont permis une analyse
plus profonde de la réalité sociale, et, dans
cette analyse, ils ne pouvaient manquer de toucher au droit.
L’œuvre de Zola reste instructive pour une sociologie
de la famille, et sans doute des constantes de la famille
au-delà des observations bien connues, qui ont maintenant
un caractère historique, sur les familles ouvrières
du Second Empire. Des deux, toutefois, Balzac est le plus
juridique, non pas tellement parce qu’il a fait montre
(pas toujours sans faille) d’une certaine connaissance
de la technique, mais plutôt parce qu’il a saisi
le droit dans son originalité, senti les institutions
juridiques comme des phénomènes vivants –
le contrat de mariage, l’héritage, la faillite,
ces institutions établies pour servir les hommes
et qui finissent par les dominer.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 180-181)
Edm. de Goncourt, dans Les Frères Zemganno (1879), fait dire à l’un de ses personnages, parlant d’un exploit d’huissier : « le papier-à-douleur ». C’est un cri du cœur, révélateur de ce que fut la dette, « la douloureuse », au siècle dernier.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 185)
Pierre Loti
(…) dans Pêcheurs d’Islande, Pierre Loti rapporte des faits qu’il a dû observer dans la région de Paimpol (au dernier quart du XIXe siècle) et qui touchent à l’infrajuridique, sinon au juridique : 1° l’enfant majeur non marié remet régulièrement sa paye à sa mère (ce qui peut expliquer que, marié, il retrouvera le même geste pour remettre sa paye à son épouse, suivant un modèle que les sociologues ont beaucoup étudié ; (…) 2° de pauvres gens adoptent (et le mot est employé) la gamine que la mort des voisins a laissée orpheline (adoption de fait, à une époque où la loi ne connaît pas du reste l’adoption des mineurs ; cf. les Pauvres Gens, dans la Légende des Siècles)
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 185)
Marcel Proust
Proust, Du côté de chez Swann, 1re partie, relève un phénomène de pluralisme de normes (la liberté selon le Code et l’obligation selon les mœurs) : « Elle qui, brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais, ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c’était sa plus proche parente et que cela se devait. »
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 185)
André Gide
Pour une seule phrase plus que pour tout le reste, André Gide s’est attiré gloire, mais infamie dans le droit de la famille. « Familles, je vous hais ! ». Remarquez-le bien : non pas famille au singulier. On a le droit de haïr sa famille : c’est un type de conflit qui est catalogué, donnant lieu à de fructueux procès de divorce, de filiation, de succession, etc. Détester sa famille en particulier n’empêche pas de respecter la famille en général. Mais que l’on mette le mot au pluriel, qui représente l’institution, l’exécration prend une tout autre résonance : c’est un pilier de l’ordre social qui est ébranlé. Un tel sentiment ne rejette t-il pas hors du droit celui qui le professe ? Au temps de Vichy, ce « je vous hais »-là fut ressenti par beaucoup comme un outrage, non pas au drapeau, ce qui eût été délit, mais à la devise nationale d’alors (un tiers d’outrage). "
(Une famille par exemple", in Flexible droit, L.G.D.J., 2001, p. 272)
Avec Jean Carbonnier, le théoricien n’est
jamais loin. Au fil de ses lectures, il en vient à établir
des typologies :
il est plusieurs types d’écrivains
sous le rapport des fruits qu’un sociologue du droit peut
en attendre
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p.180).
Et
le Doyen de définir « l’observateur »,
« le théoricien », et « l’intuitif ».
Lui, quel type de lecteur est-il ? Comment lit-il ? Nous
n’avons pas la réponse. Certes, Jean Carbonnier précisera :
il
est des lectures objectives, d’autres sont engagées »
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p.182).
Réponse descriptive
du professeur soucieux de clarté. C’est qu’il
faut s’adresser au sociologue, au critique du droit :
la fonction critique appliquée au droit appelle
une déontologie. Ainsi : en critiquant, ne pas mépriser
(…) ; ne pas risquer, par une vulgarisation hâtive,
de faire prendre pour une critique déjà en possession
de ses résultats ce qui n’est encore qu’une critique
en état de recherche ; enfin (cela ne va-t-il pas sans
dire ?) se montrer soi-même l’observant exact du
droit que l’on critique »
(Sociologie juridique,
PuF, 2004, p. 256).