La science du droit
Extrait de : Entretiens avec le doyen Jean Carbonnier,
Le Bien commun, France Culture, 2002 © INA
Durée 47 s.
Sa thèse de droit, en 1932, « Le régime matrimonial, sa nature juridique sous le rapport des notions de société et d’association », est une magistrale étude de classification et qualification. Appréhendant la science comme système de rapports logiques établis entre divers concepts, il définit la nature juridique essentiellement comme un rapport de classification faisant saillir les caractères spécifiques qui se retrouvent dans tout régime matrimonial d’une manière constante.
- Son hypothèse : le régime matrimonial, dans le système français actuel, n’est pas une institution autonome mais repose sur les deux notions indissolublement liées de société et de personne morale.
- Sa méthode : partir des faits pour s’élever à une construction juridique de pur droit positif, en prenant soin de pratiquer le doute systématique à l’égard des notiones vulgares, praenotiones à l’exemple de R. Bacon dans la scolastique médiévale.
- Sa conclusion : du seul fait du mariage, la loi établit entre les époux une société civile investie de la personnalité morale, la société conjugale, le ménage.
Au terme de notre étude, il nous apparaît, en somme, que, du seul fait du mariage, la loi établit entre les époux une société civile investie de la personnalité morale, la société conjugale (ou ménage), dont les éléments constitutifs sont donnés par la réglementation même des régimes matrimoniaux, et parfois, à côté de cette société, une fondation privée, la fondation dotale, dont les pièces constituantes s’identifient avec la règle de la dotalité. [en italique dans le texte]
(Le régime matrimonial, sa nature juridique sous le rapport des notions de société et d’association, thèse de doctorat, Faculté de droit de Bordeaux, 1932, Bordeaux 1933, p. 809)
Il serait excessif de parler d’une sociologie législatrice ou normative, ce qui laisserait croire que la sociologie fait loi, ou du moins que le législateur écrit sous la dictée du sociologue. Même chez ceux qui sont le plus favorables à une ouverture sociologique, on reconnaît que la législation reste une opération complexe, d’intelligence et de volonté, dont le législateur juridique doit conserver la responsabilité ; la sociologie peut collaborer à la législation, non pas se confondre avec elle. C’est cette auxiliarité que veut suggérer l’expression de sociologie législative.
(Sociologie juridique, PuF, 2004, p. 227)
L’herméneutique, la deuxième science
que le juriste doit maîtriser, est recherche du sens, sens
du texte ou sens des faits de l’espèce. Ainsi, appelé
à appliquer la règle de droit, le juge fait la transposition
de l’abstrait au concret en recherchant le sens de la règle
et celle du concret à l’abstrait en donnant du sens
aux faits.
Parmi les sciences de l’interprétation, le droit offre
cette originalité instructive d’avoir érigé
en méthode, dans le judiciaire, la contradiction des interprètes.
Seule la discussion est féconde parce que seule elle permet de faire sortir de la loi ou de la sentence les contraires dont elles ne sont que le provisoire repos. »
(Le silence et la gloire, Recueil Dalloz, 1951 vol.3, Chronique XXVIII, p.119-122*)
Extrait de : Le droit au non droit, Claude Vajda (réalisateur), Présence protestante, 1993 © INA Durée 1 min. 09 s. |
Le droit pose aussi des limites, y compris à la responsabilité. Dans sa contribution majeure à l’œuvre législative de rénovation du droit de la famille, de 1964 à 1977, Jean Carbonnier aura le souci constant de prendre en compte la jurisprudence, la pratique judiciaire et les réalités sociales dans l’élaboration de la loi et la perspective de son application. Les dispositions ouvertes de son droit flexible seront ainsi susceptibles d’interprétation et d’adaptation par les juges.
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* Repris dans Ecrits, PuF, 2008.