Le protestant
L’auteur a enseigné dans les Facultés de Droit et il a publié des ouvrages juridiques. Mais c’est une partie de son activité qui doit être séparée de celle que, plus intimement, il a donnée au protestantisme français . C’est ainsi que se présente Jean Carbonnier sur la 4e page de couverture de son Coligny ou les sermons imaginaires (PuF, 1982). Car Jean Carbonnier appartient à la famille spirituelle protestante. Bien que cet aspect de sa vie soit généralement moins connu que son activité principale de juriste *, il a publié de nombreux articles théologiques ou historiques et exercé d’importantes fonctions dans différentes instances du protestantisme. C’est en reconnaissance de ces écrits et de cette activité qu’il a été fait docteur honoris causa de la Faculté Libre de Théologie Protestante de Montpellier le 7 novembre 1989. Jean Carbonnier a été pendant plus de trente ans, de 1970 jusqu’à sa mort, le conservateur du Musée du désert et le principal organisateur des « assemblées du désert », rassemblant chaque premier dimanche de septembre plus de dix mille protestants ou sympathisants. Le musée situé au cœur d’un hameau cévenol (Le Mas Soubeyran), dans la maison natale du chef camisard Rolland, évoque le temps du « désert », où la « religion prétendue réformée » était interdite en France (de la révocation de l’édit de Nantes en 1685 à la Révolution française). |
Gaspard II de Coligny © SHPF Paris - Société de l'Histoire du Protestantisme Français |
A partir de 1963, Jean Carbonnier a été en même temps l’un des membres les plus actifs du Comité de la Société de l’histoire du protestantisme français, à la fois bibliothèque et laboratoire de recherche sur l’histoire du protestantisme.
De 1961 à 1983, Jean Carbonnier a aussi été membre du Conseil de la Fédération protestante de France. Là, il a toujours été soucieux de défendre les minorités religieuses, y compris celles qualifiées de "sectes", et de faire entendre la "différence" protestante dans la société française, sans la noyer dans le discours de "l'Eglise" majoritaire. Il a également été membre de la commission juridique de l’Eglise Réformée de France.
Protestant dans un pays majoritairement catholique, Jean
Carbonnier a bien conscience d’appartenir à une minorité,
comme l’amiral de Coligny qui a inspiré le titre de
son ouvrage.
Captif de ce royaume catholique dont il était, au même moment, un des maîtres, il préserva sa manière protestante d’être Français par sa manière intransigeante d’être protestant.
(Coligny ou les sermons imaginaires, PuF, 1982, p.12)
Pour lui, la culture française, malgré la sécularisation, reste catholique en profondeur, elle n’est laïcisée qu’à la surface, « mal laïcisée ». A ses yeux, le catholicisme imprègne encore l’ensemble de la société française : partis politiques, associations, édition, presse… et même vie quotidienne avec le repos dominical.
Je me contente d’enregistrer avec respect la force considérable du catholicisme culturel.
(« La culture française : une culture catholique laïcisée ? », in Religion et politique dans la culture française, Parole et Société, n° 3-4,1983, p.183 *)
En vain nous chercherions une analogie entre cette séparation radicale des deux règnes et la vieille distinction du spirituel et du temporel qu’a épuisée son incessant jeu de raquettes. Il y a dans la doctrine des deux royaumes, un accent qui n’est qu’à elle, pessimiste, voire tragique, et les conséquences qu’elle emporte sont d’une autre dimension : elle fonde – et par la théologie même, la théologie du péché – une laïcité qui libèrera de la religion le système juridique, en même temps qu’elle relativise le droit en dévoilant ses misères.
(« La religion, fondement du droit ? », Droit et religion, Archives de philosophie du droit, 38/1993, p. 19 *)
Extrait de : Entretiens avec le doyen Jean Carbonnier,
Le Bien commun, France Culture, 2002 © INA
Durée 1 min 40s.
Il résout même la contradiction de la Norme fondamentale entre Droit et Religion en conciliant ses croyances et son attachement à l’idée de laïcité.
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Extrait de : Le droit au non droit, Claude Vajda (réalisateur), Présence protestante, 1993 © INA Durée 1 min. |
Mais pour Jean Carbonnier, il reste possible de trouver dans la Bible une source d’inspiration juridique, une utopie exigeante pour les chrétiens. Il a ainsi retenu de Calvin la distinction biblique entre lois cérémonielles, lois morales et « lois judicielles » (c’est-à-dire juridiques). Adaptées au peuple juif, ces dernières ne le sont pas aux sociétés ultérieures. Elles peuvent être reçues en pays chrétien, mais à titre de « modèles », pas de préceptes juridiques.
Car la loi est présente par fragments dans nos lois positives. Elle y est même avec la majesté exceptionnelle du Sinaï – de ce Décalogue que Calvin plaçait au cœur de l’Ancienne Alliance et qu’il faisait échapper au relativisme sociologique dont il entourait en général les lois judicielles.
(« Le calvinisme entre la fascination et la nostalgie de la loi », Etudes théologiques et religieuses, 1990/4, p.516 *)
** Cf. cependant Hommage à Jean Carbonnier, Dalloz, 2007 (spécialement les contributions de Mme Meulders-Klein et MM. Gautier et Revet, qui ont nourri le présent texte)
* Textes repris dans Ecrits, PuF, 2008.